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Le principe de l’interdiction des discriminations

Ecrit par CFDT

Qu’est-ce qu’une discrimination ?

Une discrimination est une inégalité de traitement entre salariés, fondée sur un motif dit discriminatoire, expressément visé par l’article L.1132-1 du Code du travail. En d’autres termes, il s’agira de traiter différemment deux salariés ou candidats qui sont dans une situation similaire ou comparable, en se basant sur un motif discriminatoire.

La discrimination peut alors être :

  • Directe : Une mesure volontairement discriminatoire, en ce qu’elle ne masque pas son caractère de différenciation entre les salariés ou candidats au nom d’un motif discriminatoire.
  • Indirecte : Une mesure, qui, bien que neutre en apparence, a pour résultat d’entraîner un désavantage particulier pour une catégorie ou un groupe de personnes.

Tel est le cas, pour la Cour de cassation, du refus de promotion d’une salariée au retour de son congé maternité, laquelle promotion lui avait été promise (1).

Les motifs de discrimination

L’article L.1132-1 du Code du travail pose un principe général de non-discrimination. En son sein, il dresse une liste limitative des motifs discriminatoires. Aucun salarié ne peut être licencié, sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire lors de l’exécution du contrat (formation, promotion, intéressement…) en raison de :

« son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte (…).

L’employeur ne peut donc se fonder que sur des critères d’ordre professionnel et objectifs pour arrêter ses décisions.

L’auteur de la discrimination peut aussi bien être l’employeur lui-même, un supérieur hiérarchique ou encore un autre salarié.

Les exceptions au principe de non-discrimination : les différences de traitement autorisées

Un chapitre entier du Code du travail s’attache aux différences de traitement autorisées, tant celles-ci sont importantes.

Ainsi, aux articles L.1133-1 et suivants, des différences de traitement entre les salariés sont admises dès lors qu’elles sont justifiées par une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. 

Tel est le cas de l’âge : bien qu’il forme un critère discriminatoire, l’âge peut justifier des décisions pour la promotion d’une politique de l’emploi, tant que les moyens utilisés sont appropriés et nécessaires (2).

Le principe d’interdiction des discriminations ne fait pas non plus obstacle à l’intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes.

Ces mesures résultent :

  • Soit de dispositions réglementaires prises dans les domaines du recrutement, de la formation, de la promotion, de l’organisation et des conditions de travail ;
  • Soit de stipulations de conventions de branches étendues ou d’accords collectifs étendus ;
  • Soit de l’application du plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Parfois, l’employeur pourra contrevenir au principe « à travail égal, salaire égal » (3). Tel est le cas lorsqu’il peut justifier d’une différence de rémunération entre des salariés placés dans une situation similaire ou comparable par le coût de la vie dans la région de l’un, bien supérieure au second : c’est le cas du salarié résidant à Paris (4)

La discrimination pendant l’exécution du contrat de travail

Quels sont les actes interdits ?

Le Code du travail prohibe toute discrimination dans les domaines suivants :

« en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat. »

Cette liste donne simplement des exemples, elle n’est pas limitative.

Les discriminations spécifiques

Les cas expressément prévus par la loi

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire en raison de l’exercice du droit de grèvedes fonctions de juréde son orientation sexuelle (5), ou de sa maternité (6).

Également, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L.1132-1 pour avoir refusé en raison de son orientation sexuelle une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité.

Par ailleurs, une protection est accordée à la personne qui témoigne ou relate une discrimination. La rupture du contrat en représailles pour avoir témoigné ou relaté de bonne foi une discrimination subie par un collègue est nulle (7).

Dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, les salariés et candidats à un stage ou à une période de formation dans l’entreprise sont informés par tout moyen des textes relatifs à la discrimination (8).

Le cas du harcèlement discriminatoire 

La loi du 27 mai 2008 a introduit la notion de harcèlement discriminatoire : c’est un agissement à l’encontre d’un salarié, lié à un motif prohibé par la loi, et qui a pour objet ou effet de porter atteinte à sa dignité, ou de dégrader son environnement de travail.

Le cas particulier de la discrimination syndicale 

La liberté d’adhésion à un syndicat et la liberté de constitution d’un syndicat constituent des droits fondamentaux. Pourtant, nombreuses sont les discriminations directes ou indirectes dont peuvent faire l’objet les militants tout au long de leur vie professionnelle. La discrimination peut prendre différentes formes, et porter notamment sur l’évolution de carrière, la rémunération, la charge de travail, les sanctions disciplinaires…

La discrimination existe aussi entre organisations syndicales (9) : l’employeur ne peut pas privilégier un syndicat plutôt qu’un autre ou encore exercer des pressions sur certains d’entre eux. Autrement, ce dernier s’exposerait à des sanctions pénales.

C’est pourquoi diverses dispositions tendent à les protéger :

  • Les salariés ne peuvent être sanctionnés, licenciés, faire l’objet d’une mesure discriminatoire ou être écartés d’une procédure de recrutement (à un stage, un emploi ou une formation) en raison de leurs activités syndicales (10).
  • Un accord doit déterminer les mesures destinées à  concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et à tenir compte de l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle (11).
  • Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, la négociation triennale en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences porte également sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l’exercice de leurs fonctions (12).

Que faire en cas de discrimination ?

Les interlocuteurs à solliciter 

  • Les membres du CSE
  • Les organisations syndicales
  • L’inspecteur du travail
  • Les associations de lutte contre les discriminations,
  • Le « Défenseur des droits » peut également être gratuitement saisi par courrier, en ligne ou par rendez-vous.

Quels sont les recours possibles ?

Recours civil

La saisine du Conseil de prud’hommes est possible (ou tribunal administratif si l’auteur de l’infraction est un agent public) pour demander d’une part annulation de la mesure discriminante et réparation du préjudice subi.

Cette action se prescrit par 5 ans conformément à l’article L.1134-5 du Code de travail, à compter de la révélation de la discrimination.

Par exemple, la Cour de cassation a pu juger que l’action en discrimination d’un salarié n’a pu se prescrire qu’après un délai de 5 ans à compter de la date du courrier de l’inspection du travail lui révélant la discrimination dont il était victime (Cass. soc., 20 février 2013, n°10-30.028).

Le licenciement d’un salarié qui a agi en justice est nul, quand il est prouvé que cette mesure n’a été motivée que par l’action en justice qu’il a engagée. Dans ce cas, le salarié doit être réintégré.

  • La charge de la preuve : qui démontre quoi ?

Fondamentale, la preuve est la pierre angulaire de l’exercice des droits de la victime. Il est donc primordial de s’y attarder lorsque l’on veut construire un dossier devant les prud’hommes, d’autant plus que les règles en la matière sont particulièrement protectrices des salariés victimes.

S’intéresser à la charge de la preuve revient à définir le rôle de chaque partie devant le conseil de prud’hommes en cas de discrimination au travail. La charge de la preuve en la matière est allégée par le Code du travail et son article L.1134-1 : le salarié qui s’en estime victime présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

L’employeur, lui, aura à prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, lesquels sont étrangers à toute discrimination.

En pratique, cela revient pour la victime à apporter des éléments de faits qui peuvent former un doute raisonnable dans l’esprit du juge quant à l’existence de la discrimination. On recherchera des modifications du poste de travail, la non-attribution de primes, un ralentissement dans l’évolution de carrière…

  • Comment rapporter la preuve ? 

La comparaison entre salariés ou candidats à un emploi n’est pas nécessaire, bien qu’elle puisse s’avérer utile. Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (13).

Le juge n’a pas à comparer la situation des salariés in concreto puisque la comparaison peut se faire en référence à un standard.

  • La recevabilité des preuves 

Devant le Conseil de prud’hommes, la preuve est libre.

Une preuve illicite et même déloyale (par ex. issue d’un enregistrement) est admise sous conditions.

=> La méthode Clerc 

La méthode du panel utilisée en matière de discrimination syndicale, dite Méthode Clerc, permet de mettre en évidence les écarts de progression de carrière entre salariés dans la même situation ou dans une situation comparable. Elle consiste en la création d’un panel à savoir une liste de salariés embauchés à la même époque et placés dans une situation similaire ou comparable au salarié visé.

Une action en justice dite référé probatoire (Art. 145 du Code de procédure civile) permet d’obtenir la communication des bulletins de salaire des collègues ayant une situation similaire ou comparable  avant de saisir le tribunal pour faire reconnaitre la discrimination.

=> Le cas des témoignages anonymes

La Cour de cassation admet les témoignages anonymisés (14) contre le salarié accusé de harcèlement moral. C’est le fait, pour une partie, de se procurer un témoignage qui sera ensuite rendu anonyme devant le Conseil de prud’hommes.

La preuve par témoignage anonymisé permet aux salariés de se livrer sur ce qu’ils ont vécu sans craindre de mesures de rétorsion.

La preuve ainsi obtenue doit nécessairement être corroborée par d’autres éléments devant le conseil de prud’hommes, il vaut mieux ne pas compter uniquement sur celle-ci.

=> L’émergence de la comparaison statistique comme moyen de preuve

L’utilisation de la comparaison statistique des profils des candidats est possible. Lorsqu’un candidat s’estime injustement écarté du processus de recrutement, il peut tenter de mettre en perspective les profils des candidats embauchés en CDI et ceux écartés du recrutement. Le but ici est de laisser supposer l’existence d’une discrimination à l’embauche. La Cour de cassation s’est penchée sur la question pour la première fois dans un arrêt du 14 décembre 2022 (15), facilitant ainsi l’obtention de la preuve.

=> Les sanctions civiles 

Du point de vue civil, les sanctions sont multiples : nullité de la mesure discriminatoire prononcée par le juge, réintégration du salarié s’il a été licencié, versement de dommages et intérêts (16), et enfin reclassement du militant au niveau de classification auquel il aurait dû être en l’absence de ralentissement ou de stagnation de sa carrière.

Le recours pénal

Le dépôt de plainte est possible auprès du procureur de la République, du commissariat de police, ou de la gendarmerie afin que les agissements soient pénalement sanctionnés par le tribunal correctionnel.

Le Code pénal (17) prévoit une amende maximale de 45 000 euros et de 3 ans de prison.

Le Code du travail prévoit par ailleurs une amende pouvant aller jusqu’à 3750 € (et, en cas de récidive, d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 7500€ maximum dans le cas où l’employeur prendrait une mesure en considération de l’exercice d’une activité syndicale).

Les personnes physiques ou les personnes morales peuvent être condamnées à titre de peines complémentaires à l’interdiction de soumissionner aux marchés publics à titre définitif ou pour une durée de 5 ans au plus.

 

(1) Cass. soc., 16.12.08, no 06-45.262.

(2) L.1133-2 C.trav et Cass. soc.16.02.11, n°09-72.061.

(3) Cass.soc.29.10.96, n° 92-43.680.

(4) Cass.soc.14.11.16, n°15-11.386.

(5) Art. L. 1132-2 et s. C.trav.

(6) Art. L. 1225-1  C.trav.

(7) Art. L.1132-3-3 C.trav et II de l’article 10-1 de la loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

(8) L.1142-6 C.trav.

(9) Art. L. 2141-7 C.trav.

(10) Art.L. 2141-5 al. 1 C.trav.

(11) Art. L.2141-5 al. 2 C.trav.

(12) Art. L.2242-20 C.trav.

(13) Cass.soc. 8.03.23, n°21-17802.

(14) Cass. soc.19.04.23, n°21-20.308.

(15) Cass.soc.14.12.22, n°21-19.628.

(16) L.1132-4 C.trav.

(17) 225-1 à 225-4 C.pén.