Lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son poste, l’employeur a l’obligation de rechercher à le reclasser au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant. Cette recherche de reclassement se fait selon certains critères. Si la recherche et les propositions qui en découlent remplissent ces critères, l’obligation de reclassement est réputée satisfaite et est présumée avoir été faite loyalement. Selon la chambre sociale de la Cour de cassation, en cas de contestation du caractère loyal de cette recherche, la charge de la preuve appartient au salarié et non à l’employeur. Cass.soc. 4 septembre 2024, n°22-24.005
Une recherche de reclassement considérée comme déloyale par le salarié
Un salarié est embauché le 30 juillet 2001 en qualité de monteur. Il est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 21 mars 2017, puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 6 octobre 2017.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, et plus précisément la loyauté de l’employeur dans sa recherche de reclassement, le salarié saisit la juridiction prud’homale.
Rappel sur l’obligation de reclassement
Au sens de l’article L.1226-10 du Code du travail, lorsqu’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise.
Cette recherche peut s’étendre aux entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Cette proposition prend en compte, après avis du CSE, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, et peut s’accompagner de mesures telles que des mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Selon l’article L.1226-12 du Code du travail, cette obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi selon les critères listés précédemment.
La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que même si ces conditions étaient réunies, l’employeur était également tenu de satisfaire à l’exigence de loyauté dans les propositions qu’il formule[1].
C’est sur ce sujet que l’arrêt de la Cour de cassation se positionne, et plus particulièrement sur la charge de la preuve de la loyauté des propositions de reclassement formulées par l’employeur.
La remise en cause de la loyauté du reclassement
Dans les faits d’espèce, l’employeur avait proposé neuf postes de reclassement au salarié, postes répondant aux critères légaux, mais tous étaient éloignés géographiquement de son domicile.
Les ayant tous refusés, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 6 octobre 2017. Contestant son licenciement, le salarié a fait valoir devant le conseil des prud’hommes que l’employeur avait volontairement omis de lui proposer des postes disponibles situés en Normandie, et que son obligation de reclassement avait été exécutée de façon déloyale.
Il obtient gain de cause devant la Cour d’appel de Rouen. Selon elle, en ne rapportant pas la preuve qu’aucun poste situé en Normandie, compatible avec les qualifications et les capacités physiques du salarié n’était disponible, l’employeur ne démontrait pas avoir respecté son obligation de reclassement dans des conditions suffisamment loyales et sérieuses. Elle en conclut que cette déloyauté privait le licenciement de cause réelle et sérieuse.
L’employeur se pourvoit en cassation. Il estime que la Cour d’appel ne pouvait exiger qu’il rapporte la preuve de l’absence, en Normandie, de poste disponible compatible avec les qualifications et capacités physiques restantes du salarié. Il considère également que la Cour d’appel ne pouvait déduire de cette carence une déloyauté dans le respect de son obligation de reclassement, et que la preuve de cette déloyauté doit être apportée par le salarié. La question ainsi posée à la Cour de cassation est de savoir sur qui repose la charge de la preuve de la déloyauté (ou de la loyauté) dans la recherche des possibilités de reclassement par l’employeur.
Une inversion de la charge de la preuve illicite
Pour déterminer sur laquelle des parties pèse la charge de la preuve de la loyauté de l’obligation de reclassement, la Cour de cassation base son raisonnement sur l’article 1354 du Code civil qui prévoit expressément que « la présomption que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains, dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».
Mais aussi sur l’article L.1226-12 du Code du travail[3] qui énonce que « L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail. ».
Elle en déduit deux principes :
– l’obligation de reclassement qui est réputée satisfaite est également présumée avoir été exécutée de façon loyale ;
– la charge de la preuve de la déloyauté du reclassement repose sur le salarié, et non sur l’employeur (qui est présumé l’avoir effectué de façon loyale).
Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation décide que la Cour d’appel ne pouvait déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse au seul motif que l’employeur ne prouvait pas son impossibilité de reclasser le salarié en Normandie. Et que c’était au salarié d’apporter la preuve qu’il existait bien des postes disponibles en Normandie, conformes aux exigences médicales. L’arrêt de la Cour d’appel de Rouen est donc censuré, et l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Caen afin d’être réexaminée.
Une solution logique juridiquement, mais fragilisant les droits des salariés
Si la Cour de cassation a procédé à une application logique du principe juridique de présomption, son application concrète sera cependant défavorable aux travailleurs. Le salarié devra seul prouver déloyauté de l’employeur dans la recherche de reclassement au sein de son entreprise ou groupe d’entreprises. Or le salarié, à moins de solliciter du juge une demande de pièces à l’employeur, ne disposera jamais, ou très rarement, de suffisamment d’éléments pour prouver l’ensemble des possibilités dont disposait l’employeur pour le reclasser. Ces éléments étant par nature seulement détenus par l’employeur. Une décision qui vient à nouveau affaiblir le droit de l’inaptitude qui s’avère de moins en moins protecteur du salarié inapte.
Dans cet arrêt, la solution, rendue au visa de l’article L. 1226-10 du Code du travail relatif à l’inaptitude d’origine professionnelle, est également applicable en matière d’inaptitude non professionnelle (C. trav., art. L. 1226-2), les textes étant, en la matière, rédigés de manière identique.