Le Conseil constitutionnel vient, par une décision du 28 mai 2024, de mettre fin à « une situation insupportable dans laquelle les travailleur·euses sans papiers, protégé·es par le Code du travail, étaient privé·es de la possibilité de faire valoir leurs droits en justice faute de pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle »(1). Une décision qui dépasse le seul contentieux prud’homal, l’aide juridictionnelle pouvant être sollicitée dans tous les types de recours. QPC, DC 2024-1092, 28.05.24
Rappel du contexte
Plusieurs travailleurs sans-papiers ont saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour obtenir la requalification de leur contrat de travail temporaire en CDI. Disposant de très faibles ressources, ils ont constitué un dossier de demande d’aide juridictionnelle (AJ) afin d’obtenir l’assistance d’un avocat.
Mais le bénéfice de l’AJ leur a été refusé au motif qu’ils ne remplissent pas la condition de résidence régulière en France exigée par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Une QPC pour faire reconnaître une rupture d’égalité devant la loi et devant la justice
Ce refus d’AJ a mis en lumière une rupture d’égalité entre les travailleurs en situation régulière et les travailleurs en situation irrégulière.
En effet, le travailleur sans-papiers est considéré par le Code du travail comme assimilé à un salarié régulièrement embauché au regard des obligations de l’employeur(2). Il lui est par ailleurs reconnu le droit de saisir le conseil de prud’hommes en ce qui concerne les violations du droit du travail intervenues sur la période d’emploi illicite.
Au regard du Code du travail, un travailleur sans-papiers est donc considéré comme un travailleur comme un autre et bénéficie des mêmes droits.
Mais, en application de la loi relative à l’aide juridique, ce même travailleur sans-papiers ne bénéficie pas de l’AJ comme tout autre travailleur en situation régulière. Cette loi conditionne en effet le bénéfice de l’AJ, pour les personnes de nationalité étrangère qui résident habituellement en France, à une résidence régulière.
Les salariés ont alors décidé à l’occasion de leur recours devant le conseil de prud’hommes, de déposer la QPC suivante :
« Les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 3 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe d’égalité des justiciables devant la loi et au droit à un procès équitable, en ce qu’elles excluent par principe les salariés étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle ? ».
Les étrangers ne résidant pas régulièrement en France ont droit à l’aide juridictionnelle !
C’est en substance ce qu’il faut retenir de la décision attendue que le Conseil constitutionnel a rendue le 28 mai 2024.
Des dispositions qui méconnaissent le principe d’égalité devant la justice
Le Conseil constitutionnel commence tout d’abord par rappeler le principe constitutionnel d’égalité prévu par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il souligne qu’il est toujours possible au législateur de prévoir des règles différentes selon les faits, les situations ou les personnes auxquelles elles s’appliquent, mais sous condition :
- ces différences ne doivent pas procéder de distinctions injustifiées,
- et doivent être assurées aux justiciables des garanties égales notamment quant au respect du droit d’agir en justice et des droits de la défense.
Après avoir analysé le contenu de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991, le Conseil constitutionnel constate qu’il instaure une différence de traitement entre les étrangers selon qu’ils se trouvent ou non en situation régulière en France.
Restait alors à répondre à la question suivante : cette différence de traitement est-elle justifiée ? C’est par la négative que répond le Conseil constitutionnel. Il retient en effet que s’il est possible pour le législateur de prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers, notamment au regard de leur situation régulière, c’est à la « condition de respecter les droits et libertés garantis par la Constitution reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et, en particulier, pour se conformer au principe d’égalité devant la justice, d’assurer des garanties égales à tous les justiciables ».
Or, selon lui, les dispositions de la loi précitée, sauf les quelques exceptions qu’il rappelle, qui privent les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l’AJ pour faire valoir en justice leurs droits que la loi leur reconnaît, ne permettent pas d’assurer à ces justiciables « des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables ».
Il en déduit que les dispositions en question « méconnaissent le principe d’égalité devant la justice ».
Des dispositions qui sont déclarées contraires à la Constitution et immédiatement abrogées
Le Conseil constitutionnel déclare en conséquence que les dispositions sont inconstitutionnelles. Plus précisément, ce sont les termes « et régulièrement » qu’il censure et qui disparaîtront du texte de loi précité.
Enfin, il décide que cette abrogation interviendra à la date de publication de la décision, à savoir le 30 mai 2024, et qu’elle sera applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date précitée.
Comme le dit le communiqué de presse, c’est une victoire. Et une étape importante, même si le chemin qui reste à parcourir pour parvenir à une égalité de droits entre toutes et tous les travailleur·euses est encore long. Le combat pour l’égalité des droits pour toutes et tous continue.
(1) Extrait du communiqué de presse des organisations étant intervenues pour soutenir cette action, dont la CFDT
(2)Art. L. 8252-1 C.trav.